Les commentateurs grecs du Livre I
Deux exemples chez Proclus et Aganis

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Une preuve de Proclus (410-485)

Dans ses "Commentaires sur le premier livre des Eléments d'Euclide", Proclus se propose de montrer le cinquième postulat à partir des autres. Il se sent en cela légitimé car la réciproque est déjà montrée par Euclide, dans la proposition 17 (deux angles d'un triangle quelconque, de quelque manière qu'ils soient pris, sont moindres que deux droits) sans utiliser le cinquième postulat. Or, pour Proclus :

"... comment ce dont la réciproque est consignée parmi les théorèmes comme démontrable serait-il indémontrable ?"

 

Pour cela, il commence par montrer une première proposition qui veut que :

Lorsqu'une droite coupe l'un des parallèles, elle coupe l'autre aussi.

Preuve de Proclus

Soient les parallèles AB et CD, et que la droite EZH coupe la parallèle AB. Je dis qu'elle coupe aussi la parallèle CD.

En effet, puisque l'on a deux droites BZ et ZH, prolongées à l'infini d'un seul point Z, elles ont entre elles une distance plus grande que toute grandeur ; de sorte que cette distance est aussi plus grande que celle qui existe entre les paralléles.

Dès lors, puisque les droites sont plus distantes l'une de l'autre que la distance qui existe entre les parallèles, la droite ZH coupera la droite CD. En conséquence si une droite coupe l'une des parallèles, elle coupera l'autre aussi.

La suite de la preuve n'appelle pas de commentaires particuliers, mais dans cette partie, Proclus utilise d'abord un axiome - qu'il a explicitement introduit auparavant sous le nom d'axiome d'Aristote - et ensuite un second axiome implicite, sur la distance entre les parallèles :

1° axiome (explicitement formulé par Proclus)
Si deux droites formant un angle à partir d'un point sont prolongées à l'infini, l'intervalle de ces droites prolongées à l'infini dépasse toute grandeur finie.

2° axiome (implicte, en fait réciproque du précédent)
La distance entre deux parallèles est bornée.

Ainsi la preuve de Proclus utilise une propriété implicite qui est euclidienne. Jean Luc Chabert (JLC) fait remarquer que le premier axiome étant basé sur le caractère infini des droites, exclut de fait la géométrie elliptique (dans laquelle les droites sont bornées), alors que la réciproque implicite de Proclus, sur la distance bornée entre deux parallèles, exclut, elle, la géométrie hyperbolique. Et il conclut avec humour : il ne restait bien que la géométrie euclidienne !

Remarquons, toujours avec JLC, que cette proposition de Proclus est équivalente à l'unicité d'une parallèle à une droite passant par un point donné, résultat dont on sait qu'il est équivalent au postulat. En effet (voir la figure précédente), si une droite coupe (AB) en Z et donc, en vocabulaire euclidien ne fait pas un angle nul avec elle, alors d'aprés la proposition de Proclus, elle coupera aussi (CD). D'où l'unicité de la parallèle. Réciproquement si cette unicité est acquise, il est clair que la propriété de Proclus en découle.

Sur la réciprocité des deux axiomes ci-dessus :

Axiome 1 : Si deux droites sont sécantes, alors la distance entre elles devient infinie.
Contraposée : Si la distance reste bornée, alors les droites ne sont pas sécantes.

Axiome 2 : Si les droites sont parallèles, alors la distance entre elles est bornée.
Contraposée : Si la distance n'est pas bornée, alors les droites ne sont pas parallèles.

 

Analyse du raisonnement de Proclus proposée par JLC :

Notons P l'assertion : La somme des angles (de l'énoncé du postulat) est inférieure à deux droits.
Notons Q l'assertion : Les deux droites se coupent (du côté des angles ...).

On a alors le schéma suivant :

Proposition 17 : Q => P

Deux angles d'un triangle quelconque, de quelque manière qu'ils soient pris, sont moindres que deux droits

 

<= Réciproque =>

Cinquième postulat : P => Q

Si une droite, tombant sur deux droites, fait les angles intérieurs d'un même côté plus petits que deux droits, ces droites, prolongées à l'infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits.


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Raisonnement par l'absurde
pour obtenir la contraposée
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Raisonnement par l'absurde
pour obtenir la contraposée
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Proposition 27 : non P => non Q

Si une droite, tombant sur deux droites, fait des angles alternes égaux entr'eux, ces deux droites seront parallèles.

 

<= Réciproque =>

Proposition 29 : non Q => non P

Une droite qui tombe sur deux droites parallèles, fait les angles alternes égaux entr'eux, l'angle extérieur, égal à l'angle intérieur opposé et placé du même côté, et les angles intérieurs placés du même côté, égaux à deux droits.

Le raisonnement de Proclus semble être celui-ci : la proposition 17 a été montrée par Euclide sans recours au postulat. Alors cette cinquième demande doit aussi pouvoir être montrée. Proclus aborde donc cette preuve là où le postulat apparaît pour la première fois, à la proposition 29.

 

 

Une preuve d'Aganis (VI°siècle)

Aganis modifie la définition des parallèles qui sont alors des droites coplanaires et équidistantes, et commence par vérifier que cette distance est obtenue par la perpendiculaire commune. Le problème de l'existence de telles droites équidistantes est traité par le fait que deux droites perpendiculaires à une même troisième sont bien équidistantes, mais montrer pour cela, Agani utilise, s'en rendre compte - en tout cas sans mettre en doute - le fait que :

Par un point extérieur à une droite, il passe toujours une droite équidistante à cette droite.

On comprend bien alors, remplaçant un théorème d'existence par un autre, qu'Aganis arrive à montrer que deux droites équidistantes font, avec une sécante, des angles alternes égaux, et réciproquement. Il est clair que la preuve tant cherchée du postulat en découle.

La démarche d'Aganis a retenu l'attention des historiens des GNE parce que, pour montrer le postulat d'Euclide, Aganis donne une construction effective du point d'intersection des deux droites faisant avec une sécante deux angles intérieurs du même côté plus petit que deux droits, pour reprendre le libellé du postulat, une démarche constructive étant a priori sans faille, puisque l'on construit expicitement le point d'intersection ...

Pourtant, dans sa démonstration, Aganis utilise à nouveau un implicite bien caché, sur les projections orthogonales. Voyons cela :

La figure et les hypothèses d'Aganis

Soient AB et GD deux droites, coupées par une sécante EZ et telle que la somme des angles intérieurs AEZ et EZD soit plus petite que deux droits.

Il s'agit de montrer qu'alors les deux droites sont sécantes, Aganis va construire cette intersection C.

Sans que la figure soit moins générale, on peut supposer que l'angle AEZ est droit.

Sur ZD prenons un point T arbitraire et traçons TL perpendiculaire à ZE.

La preuve

Soit P le milieu de EZ, M le milieu de PZ, etc ... jusqu'à ce que l'un des points P, M, ... soit sur le segment LZ. Que ce soit par exemple M. La perpendiculaire MN à EZ rencontre ZD en N.

Alors sur ZD construisins le segment ZC, le même multiple de ZN que ZE de ZM. Le point C ainsi obtenu est le point d'intersection des droites AB et GD.

Or le point C est bien le point cherché car - en géométrie euclidienne - des segments égaux sur ZD se projettent sur EZ selon des segments égaux.

Ainsi, Aganis utilise le fait que des segments égaux ont des projections égales.

On verra plus loin que Saccheri - mais un millénaire plus tard - saura clairement identifier les inégalités sur les projections des milieux dans un triangle rectangle relativement aux hypothèses sur l'angle de "son" quadrilatère.

En fait, Aganis cherche à prouver cette assertion, mais pour cela il utilise la propriété 29 qui veut que si deux droites sont parallèles, une sécante fait des angles alternes égaux, première propriété des éléments qui justement, utilise le postulat que l'on veut montrer. On appellerait cela maintenant - du moins dans les IUFM - une surchage cognitive ;-) ...

Notons également que l'existence du point M relève de l'axiome d'Archimède (présent chez Euclide) sans que cela soit mentionné. La demande implicite ici - dans notre vocabulaire - étant que la suite de terme 1/2n tende vers 0.

 

  

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