Les fondements de la géométrie
Hilbert - (1899)

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"Comme l'arithmétique, la géométrie n'exige pour son élaboration qu'un petit nombre de propositions fondamentales simples. Ces propositions sont les axiomes de la géométrie. Depuis Euclide, l'établissement de ces axiomes et l'étude de leurs relations ont fait l'objet de travaux nombreux et excellents. Ce problème est celui de l'analyse de notre intuition de l'espace".

David Hilbert - "Les fondements"

David Hilbert, au sein du vaste mouvement de recherche de fondement des mathématiques de la fin du XIX°, s'est attaché à préciser l'axiomatique d'Euclide. Gilbert Arsac - dans son cours sur l'axiomatique de la géométrie (1996) - fait la synthèse suivante :

"Pour Hilbert, et pour tous les mathématiciens semble-t-il, l'énoncé des axiomes de la géométrie se fonde sur les propriétés intuitives des points, droites etc . On pourrait dire que c'est la position d'Euclide et interpréter en partie, l'histoire des débats sur les fondements de la géométrie comme l'histoire d'une défiance de plus en plus grande vis à vis des vérités appuyées sur l'intuition de l'espace, mais qui aboutit à la constatation qu'on ne peut pas s'en passer totalement.

Une fois les axiomes énoncés on doit vérifier que l'emploi des objets de la géométrie qui est fait dans la démonstration finale d'une propriété (mais pas dans la recherche, qui elle fait appel à l'intuition) ne fait usage que des relations exprimées dans les axiomes et les définitions et est en droit indépendant de toute interprétation des objets de la géométrie. Cette idée est clairement exprimée par Pasch (1882) ...

On peut alors formaliser entièrement la rédaction de la démonstration en créant en particulier un symbolisme pour la logique, éliminant ainsi tout recours à la langue courante, et étudier les suites de symboles (objets concrets) que constituent alors les démonstrations, c'est le programme connu sous le nom de formalisme de Hilbert".

 

 

Congruence et empirisme

Dans son axiomatique, Hilbert reprend la démarche d'Euclide, en particulier - contrairement à ce que l'on fera ultérieurement - il ne pose pas d'axiome entre la droite "géométrique" et celle "numérique", mais de fait, son axiomatique contient une construction complète du corps des réels (ce que n'avait bien-sûr pas Euclide), dans un chapitre intitué "la théorie des proportions", basé sur les axiomes d'ordre, de continuité, et de congruence, ce qui a fait dire à Gustave Choquet - dans l'introduction à une axiomatique rédigée à l'attention de l'enseignement :

"L'axiomatique d'Euclide-Hilbert est basée sur les notions de longueur, d'angle, de triangle. Elle cache à merveille la structure vectorielle de l'espace, au point que de nombreux siècles ont ignoré la notion de vecteurs".

Pendant longtemps, la construction des nombres était en effet intimement liée aux propriétés du plan euclidien, en particulier le théorème de Thalès assurait une structure de corps à cet ensemble de nombre. Dans l'introduction de ses propres "fondements de la géométrie", avant de préciser la démarche axiomatique, Bela Kerekjarto prend le temps de rappeler les origines empiriques de la congruence :

"Les bases empiriques de la géométrie sont fournies par l'examen des mouvements des corps rigiques. Aprés être arrivé par abstraction à la notion de "point", on voit que lorsqu'un corps rigide est fixé en deux points, il y a certains points qui restent à leur place lors de tous les mouvements encore possibles du corps; l'ensemble de ces deux points forment une "droite". Si le corps est fixé par deux points d'une droite, les points de la droite en question, et eux seuls, restent à leur place; ce qui peut s'exprimer de la façon suivante : deux points quelconques determinent une droite et cette droite est déterminée par n'importe lequel de deux de ses points.
En faisant continuellement tourner le corps rigide autour d'une de ses droites, tous les points du corps reviennent aprés une certaine rotation à leur place initiale; cette rotation est nommée rotation complète autour de la dite droite. Une rotation dont la répétition donne une rotation complète est appelée demi-rotation. Certaines droites se transforment elles-mêmes aprés avoir effectué une demi-rotation autour d'une droite : ce sont des droites perpendiculaires à notre droite. Par une rotation complète autour d'une droite, toute droite perpendiculaire à la droite fixée décrit un "plan". L'arrangement des points sur la droite est conforme à l'ordre de succession dans le temps selon lequel un point, en décrivant la droite, les parcourt.
Nous passons de la notion de corps rigide à celle de figure géométrique en faisant abstraction de la matière du corps et en ne considérant que la place occupée par elle dans l'espace. Deux figures seront nommées congruentes si l'une peut être superposée à l'autre par un certain mouvement (déplacement). Deux mouvements successifs peuvent être remplacés par un seul mouvement : il s'en suit que lorsqu'une figure est congurente à une autre et celle-ci à une troisième, la première figure est aussi congruente à la troisième".

 

 

Définitions chez Hilbert (premières lignes du chapitre I des fondements)

"Nous pensons trois systèmes différents de choses; nous nommons les choses du premier système des points; nous les désignons par des majuscules A, B, C, ...; nous nommons droites les choses du deuxième système et nous les désignons par des minuscules a, b, c, ...; nous appelons plans les choses du troisième système et nous les désignons par les caractères grecs. Les points constitutent les éléments de la géométrie linéaire; les points et les droites sont les éléments de la géométrie plane; enfin les points, les droites et les plans sont ceux de la géométrie de l'espace ou de l'espace lui-même.

Entre les points, les droites et les plans, nous imaginons certaines relations que nous exprimons par des expressions telles que "être sur", "entre", "congruent"; la description exacte et appropriée au but des mathématiques de ces relations est donnée par les axiomes de la géométrie.

On peut classer les axiomes de géométrie en cinq groupes; chacun de ces groupes exprime quelques faits fondamentaux, liés les uns aux autres et qui nous sont donnés par l'intuition. Nous désignons comme suit ces groupes d'axiomes :

(I, 1 à 8)

: axiomes d'appartenance,

(II, 1 à 4)

: axiomes d'ordre,

(III, 1 à 5)

: axiomes de congruence,

(IV)

: axiome des parallèles,

(V, 1 et 2)

: axiomes de continuité.

Résumé des axiomes

Les axiomes suivants sont accompagnés au fur et à mesure de leurs énoncés des définitions qu'ils permettent (demi-droite, segment ...)

Les axiomes d'appartenance : les 8 axiomes d'Hilbert peuvent se résumer aux 5 suivants

I.1. Deux points distincts sont sur une et une seule droite.
I.2. Sur une droite, il y a au moins deux points. Il existe au moins trois points non alignés.
I.3. Trois points non alignés sont sur un et un seul plan.
I.4. Si deux points d'une droite sont sur un plan, tous les points de la droite sont sur ce plan.
I.5. Il existe au moins quatre points non coplanaires. Si deux plans ont un point commun, ils en ont au moins un autre.

On note (AB) l'unique droite passant par A et B.

Exemples et commentaires didactiques de Gilbert Arsac sur les axiomes d'incidence.

Les axiomes d'ordre

II.1. Si un point B est entre un point A et un point C, les points A, B, C sont sur une droite et B est aussi entre C et A.
II.2. Etant donnés deux points A et C, il existe au moins un point B sur la droite (AC) qui soit entre A et C.
II.3. De trois points d'une droite, il n'y a pas plus d'un qui soit entre les deux autres.
II.4. Si une droite du plan d'un triangle ne passe par aucun des sommets et rencontre un des côtés, alors elle rencontre l'un des deux autres côtés (axiome de Pasch).

Les axiomes de congruence

Les axiomes de ce groupe définissent la notion de congruence et, par là, celle de déplacement.
Définition : entre les segments, il existe certaines relations exprimées par les mots congurent ou égal.

III.1. Sur une droite donnée et d'un côté d'un point A donné, il existe un point B tel que le segment AB soit congruent à un segment donné.
III.2. Si deux segments sont congruents à un même troisième, ils sont congruents entre eux.
III.3. Si B est entre A et C, si B' est entre A' et C', si AB et A'B' sont congruents et si BC et B'C' sont congruents, alors AC et A'C' sont congruents.

Le premier axiome introduit la possibilité de report d'un segment (l'unicité de B sera montrée), le deuxième aboutit à ce que la congruence des segments soit une relation d'équivalence et le troisième à la possibilité de les additionner. Le report d'angles se traite de la même façon, toutefois, par rapport au segment, l'unicité doit être demandée axiomatiquement, alors qu'elle est démontrée pour les segments, justement par les angles, comme première conséquence de III.4 et III.5 ci-dessous. Par leur définition, les angles sont non concaves et non plats

III.4. Dans un plan donné, et d'un côté d'une demi-droite h donnée, il existe une unique demi-droite k telle que l'angle (h, k) soit congruent à un angle donné.
III.5. Si dans deux triangles ABC et A'B'C', on a les congruences entre les segments AB et A'B', entre les segments AC et A'C' et entre les angles BAC et B'A'C', alors on a aussi la congruence entre les angles ABC et A'B'C'.

Hilbert reprend l'exposé d'Euclide : il définit alors l'angle supplémentaire et l'angle droit comme égal à son supplémentaire. Il montre l'existence des angles droits et leur congruences (comme Proclus), les trois cas d'égalité des triangles. Les derniers thèorèmes avant l'axiome des parallèles portent sur la possibilité de bissecter un segment et un angle (avant d'étendre la notion de congruence aux figures planes ou de l'espace).

L'axiome des parallèles

Définition : deux droites coplanaires qui ne se coupent pas sont dites parallèles.

IV. Par un point A extérieur à une droite d, dans le plan déterminé par A et d, il passe au plus une parallèleà d.

Les axiomes de continuité

V.1. Si AB et CD sont deux segments quelconques, il existe un nombre entier n tel que le report du segment CD répété n fois à partir de A sur la demi-droite déterminée par B conduise à un point situé au dela de B.
V.2. L'ensemble des points d'une droite n'est succeptible d'aucune extension dans laquelle soient encore valables les axiomes (II, 1 à 3), (III, 1 à 3) et (V, 1).

Hilbert construit alors une théorie des proportions avec le "calcul segmentaire" dans laquelle, à partir des théorèmes de Pascal (Pappus affine) et de Désargues, il construit le corps de nombre qui est bien celui que l'on veut grace aux axiomes de continuité, le second (V.2) assurant la biunivocité de la correspondance entre les points d'une droite et les nombres réels.
 

 

Quelques uns des apports des "fondements" de Hilbert (listés par Paul Rossier)

 

Hilbert a choisit "la simplicité" à l'indépendance de ses axiomes. Toutefois, il prend soin d'étudier cette indépendance pour les groupes d'axiomes. Ainsi par exemple montre-t-il l'indépendance de la continuité en construisant une géométrie non archimédienne vérifiant les groupes d'axiome I, II et III. De même, il étudie la place de la congruence en rapport avec le théorème de Désargues, les axiomes de l'espace, et le théorème de Pappus "affine" - toujours appelé chez Hilbert "théorème de Pascal". Il est le premier à mettre en relief ces relations :

• Impossibilité de montrer le théorème de Désargues sans recourir à l'espace ou à la congruence.
• Le théorème de Désargues pour une axiomatique du plan remplace les théorèmes d'incidence spatiale ou encore l'existence de l'espace.
• L'incidence plane et le théorème de Désargues permettent la construction d'une géométrie analytique plane (ie d'un corps) sans la commutativité de la multiplication.
• La congruence ou la continuité est indispensable à la démonstration du théorème de Pascal, mais pas les deux.
• La géométrie projective ne peut pas être construite sur les seuls axiomes d'incidence et d'ordre car elle repose sur le théorème de Pascal ou une proposition permettant de le montrer.

 

 

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